[Scène Rave]
Le Black&Blue, toujours boudé par Ottawa et Montréal
Par Julien Daigneault, RG magazine - 04 octobre 2010L'événement House phare de la culture gaie québécoise, le Black&Blue, fêtera ses vingt ans cette année. Vingt ans de promotion de la culture gaie, mais aussi de soutien à la cause des personnes luttant contre le VIH-sida. Une édition spéciale qui, selon ses organisateurs, permettra au Black&Blue de souffler ses bougies sans trop s'en faire, malgré l'absence d'aide financière d'Ottawa et de la ville de Montréal.
« Nous prévoyons une bonne année pour le Black&Blue », affirme le président-directeur général de la Fondation Bad Boy Club Montréal, Robert J. Vézina, rencontré dans ses locaux de la rue Sainte-Catherine. L'organisateur du Black&Blue est confiant car, explique-t-il, la fondation « a reçu plus de subventions du gouvernement du Québec, le cahier-souvenir comporte plus d'annonceurs et d'excellents artistes sont en vedette ».
Black&Blue 1997
« Il y a 20 ans, le premier événement Black&Blue a attiré environ 800 personnes. Ce nombre a rapidement augmenté pour atteindre environ 17 000 personnes durant les événements principaux de 1999 et 2000. En revanche, les circonstances entourant les attentats du 11 septembre 2001, à New York, ont provoqué une baisse générale du tourisme américain et l’annulation de vol de plusieurs DJs », affirme le PDG.
Le Black&Blue a connu une baisse d'achalandage durant la décennie 2000, ainsi qu’une période financière creuse jusqu’en 2004. Le nombre moyen de participants à l'événement principal du dimanche soir s’est tout de même maintenu à 9000 depuis 2005. Pour le festival en entier, depuis 1997, il est question de 35 000 à 50 000 participants pour la semaine d’activités.
Un succès qui ne démord pas
Malgré tout, cet achalandage fait du Black&Blue le plus grand événement en son genre au monde. Cet énorme happening électronique gai fait pleuvoir chaque année des retombées économiques directes et indirectes de l'ordre de 15 à 25 millions de dollars sur la ville de Montréal, selon la maison CROP.
Toujours selon la firme de sondage, une enquête menée en 2009 indique que 25 % des participants provenaient de l'extérieur de Montréal. Il s'agit d'un ratio de plusieurs points supérieur à celui du Festival de jazz ou du Festival Juste pour rire de Montréal.
M. Vézina déclare sans complexe : « Nous croyons faire partie des événements qui ont contribué à donner à Montréal le statut d’une grande ville de festivals reconnus internationalement ».
Des dons qui diminuent
Depuis vingt ans, conformément à sa mission sociale, la Fondation BBCM a donné près de 1,5 million de dollars à une cinquantaine d'organismes communautaires gais ou qui viennent en aide aux personnes atteintes du VIH-sida partout au Canada et surtout à Montréal.
L'an dernier, la Fondation a remis environ 15 000 $ en dons, en plus d'une aide promotionnelle et de billets gratuits. C’est une aide qui est près de quatre fois moins substantielle qu’en 1994, quand la Fondation avait remis 62 000 $ à cinq organismes. M. Vézina invoque plusieurs raisons pour expliquer cette baisse : « la hausse fulgurante des cachets des DJs, l’augmentation des frais généraux, la baisse d’achalandage, le retrait de l’appui du fédéral ainsi que les importants frais de police et de sécurité ».
L’aide du fédéral toujours absente
Depuis les cinq dernières années, la Fondation BBCM retrouve la santé financière, malgré le retrait d’une subvention fédérale d'environ 55 000 $, en 2006, par le ministre conservateur du Travail d'alors, Jean-Pierre Blackburn, ce qui avait privé le festival d'environ 10 % de son budget de fonctionnement.
Selon M. Vézina, cette réduction avait manifestement un aspect idéologique. « Le gouvernement Harper est antigai. Malgré nos efforts, on nous a fait parvenir une fin de non-recevoir nous signalant l'inutilité de continuer de demander de l'aide financière. Nous attendons que le gouvernement change pour nous inscrire de nouveau », signale-t-il.
En 2008, les organisateurs ont choisi de faire une croix sur le stade olympique et de déménager le Black&Blue au Palais des Congrès afin d'économiser plusieurs dizaines de milliers de dollars. Le PDG de la Fondation BBCM explique que les coupes budgétaires du fédéral « ont été compensées en partie par la hausse de l’appui financier du gouvernement du Québec, par l'entremise de Tourisme Québec et du ministère québécois des Affaires municipales et des Régions, pour les 20 ans du festival cette année ». « La subvention de Tourisme Québec nous permet cette année de faire des prestations en direct qui ne l'auraient pas été sinon », souligne M. Vézina.
Il signale que l'aide de l'organisme indépendant Tourisme Montréal – qui provient de taxes prélevées sur les locations de chambres d'hôtel durant le Black&Blue – a aussi aidé.
Entrée du Black&Blue 2000 au stade olympique
Le strict minimum de la part de Montréal
« Malgré les demandes répétées et les rencontres au sommet, la Ville de Montréal a toujours refusé de subventionner le Black&Blue », affirme le responsable de la Fondation. Tout comme dans le cas du gouvernement Harper, les requêtes du BBCM se sont soldées par une fin de non-recevoir, nous signalant l'inutilité de continuer de demander de l'aide financière ».
Le PDG souligne que son festival ne semble pas cadrer avec les critères de la Ville : « Pas assez “artistique” et “familial” », nous a-t-on répondu. Pourtant, nous offrons une programmation culturelle comprenant les meilleurs artistes house au monde. Nous avons un directeur artistique depuis des années. Nous avons présenté des prestations du Cirque du Soleil, de The Human League, de Deborah Cox, d’Ultra Naté, etc. Pour l'an 2000, Victor Pilon a réalisé une œuvre formée de 25 000 chandelles en forme de ruban rouge géant au stade olympique. Pas assez artistique, mon oeil ! », lance M. Vézina, hors de lui. « Et les gais n'ont pas de famille, c'est bien connu », ironise-t-il.
Un événement privé
La chargée de communication à la ville de Montréal, Isabelle Poulin, explique que la Ville priorise le financement des événements qui se déroulent sur des terrains publics, « comme à la Place des festivals, dans les parcs ou encore dans les rues ». Bernard Larin, du cabinet du maire, en rajoute : « Le Black&Blue est un événement privé qui se déroule sur un lieu loué par le BBCM ». Il invoque les mêmes raisons pour expliquer l'absence du Black&Blue dans la section « Festival et événements » du site de la Ville.
Comme seule contribution, la Ville de Montréal achète depuis quelques années un encart publicitaire de 5 000 $ dans le cahier-souvenir du Black&Blue.
« Depuis ses débuts, le plus gros problème auquel se heurte le Black&Blue demeure le financement soutenu du public et du privé, affirme le PDG de la Fondation BBCM. Étant donné l'aspect gai, flyé et afterhour des événements que nous organisons, les grandes compagnies ne veulent pas s'associer avec nous, de peur que cela nuise à leur image de marque ». Il souligne néanmoins l'audace d'Air Canada, ainsi que l'engagement du Syndicat canadien de la fonction publique, tout deux présents comme publicitaires dans le cahier-souvenir.
M. Vézina affirme que la ville de Montréal boude carrément les raves et les événements gais du genre, à cause des préjugés concernant la drogue. « Ils pensent qu’il ne s’agit que d’un party de drogués et de tout-nus, lance-t-il. La Ville fait tout pour nous mettre la police sur le dos. Nous sommes obligés de payer pour rien une quarantaine de policiers toute la nuit et à temps double. Pourtant, notre service de sécurité s'occupe déjà de fouiller les participants. Les policiers en uniforme et en civil ne sont là que pour faire peur ».
« Mais les gens le savent maintenant et ils prennent leurs pilules avant d’entrer. Sur 10 000 personnes, [la police] ne fera que trois arrestations. L’ironie, c’est que si vous allez à un concert de Metallica, ils sont tous sur le LSD, des drogues dures, et la police n’est même pas là », a déjà confié M. Vézina à The Gazette, l’année dernière.
Black&Blue 2001
« Le Black&Blue n’est pas un rave »
Depuis 20 ans, le Black&Blue constitue le plus gros événement de la culture électronique nocturne québécoise. Néanmoins, ses promoteurs n’y ont jamais collé l’étiquette « rave », peut-être pour éviter la mauvaise presse les entourant. Pour M. Vézina, son marathon house pour noctambules « n’est pas un rave », « entre autres à cause des choix artistiques et musicaux, des décors, de l’animation et des spectacles ». Il ajoute que « lors des premières éditions, au début des années 90, les raves n'étaient pas encore commercialisés. Les fêtes technos étaient encore au stade de Warehouse party ».
Ces explications sur la nature du Black&Blue peuvent laisser perplexe, tout comme l’a été M. Vézina lui-même lorsque, durant l’entrevue, il a remarqué l’énorme mot « RAVE » sur la publicité d’Air Canada figurant en page centrale de son cahier-souvenir 20e anniversaire…
Toujours est-il que les responsables de la Fondation BBCM cherchent à séduire les jeunes technophiles. L’événement où le House domine sans partage depuis 20 ans accueillera pour la première fois une salle trance. « La jeune clientèle découvre le Black&Blue et nous évoluons avec les tendances musicales », souligne M. Vézina.
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